"L'attrapeur de mains"

L’attrapeur de mains,
C’était en octobre 2006, mon mari ayant pris conscience qu’il ne savait pas voler, se retrouvait dans un fauteuil roulant dans un centre de rééducation fonctionnelle, après le boulot j’allais le voir chaque jour et comme çà devait durer trois mois, la congrégation des bras cassés et autres accidentés de la vie devait devenir mon autre famille, c’est dans ce contexte douloureux que j’ai rencontré « l’attrapeur de mains » .
Il avait un beau visage encadré de boucles , semblait avoir la trentaine, mais en fait il avait dépassé les 45 ans, cela faisait dix années qu’il était là, parfois apathique, parfois agité, dans son fauteuil roulant, les infirmiers le posaient devant la télé, ou le promenaient dans le parc, pas un mot, le corps décharné, la tête ballotante, le regard vide, il avait pour seule visite sa mère, son épouse et ses deux enfants avaient abandonné l’espoir de le voir se remettre, et du même coup ; avaient préféré prendre la fuite.
L’homme en question , lorsqu’il traversait une période d’agitation semblait aimer tout le monde, au passage il attrapait les mains et les portait à son visage en marmonnant des mots incompréhensibles, cela semblait lui procurer un certain plaisir, je faisais mon possible pour éviter de le croiser durant ces bons jours mais savait qu’un de ces quatres çà arriverait.
C’est durant un début de soirée, alors que je regardais la télé dans la salle commune que quelque chose s’est passé, une chose que je n’arrive pas à oublier.
Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, ce soir là il était calme, mais son œil était animé d’une étincelle toute spéciale, il me guettait, enfin lorsque je dis qu’il me guettait, je devrait dire qu’il semblait voir comme voient les chats, il regardait autour de moi, sur les côtés, en haut, et paraissait vraiment intéressé par ce qu’il voyait, je savais qu’en passant à côté de lui, en raccompagnant mon mari dans la chambre, quelque chose de spécial arriverait……..
Avec une rapidité stupéfiante il m’a attrapé les mains, ces mêmes mains qui ne savaient plus tenir un journal et que parfois on devait attacher sur les accoudoirs de sa chaise afin qu’il ne les laisse pas trainer à proximité des roues de son fauteuil……des mains froides à la peau presque trop fine, comme à chaque fois que quelque chose de magique arrivait , je me suis sentie totalement déconnectée de la réalité, les gens autours semblaient parler au ralentis murmures incompréhensibles venant de loin, je me retrouvais dans un espace de non temps, contrairement a ce qui était son habitude, c’est directement sur le sommet de son crâne qu’il a mené mes mains, et avec une force étonnante, il les tenait afin que je ne puisse partir, et là j’ai bien cru avoir une crise de panique lorsque j’ai pris conscience de l’endroit où il voulait m’emmener……
Lui qui semblait totalement décérébralisé, du reste c’est ce que disait les médecins, et bien il était là, enfermé dans son crâne, il avait une voix, elle était claire et elle hurlait.
Tous les locataires d’infortune du centre pensaient que cet homme avait eu un accident de la route, il n’en était rien, il devait à sa manière me le faire savoir :c’est en hurlant qu’il m’a fait passer un message qui disait ceci :
-« problèmes cardiaques, trop de médicaments , arrêtez !!! »
comment expliquer ce qu’alors j’ai ressentis, toute sa colère, toutes ses angoisses, sa lassitude.
Quel terrible révélation que de prendre conscience que cette homme savait ce qui lui arrivait, mais qu’il était enfermé, impuissant, livré à la médecine déshumanisée.je me déconnectais toute chamboulée, les yeux me piquaient, le cœur battait de l’aile, qu’avait il dit déjà, ah oui « problèmes cardiaques ».
Je ne sais pas combien de temps la connexion avait duré, sans doute quelques secondes, en tous cas, personne ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit, « l’attrapeur de mains » était retombé dans une sorte de stupeur silencieuse.
Il me fallait maintenant faire quelque chose de tout çà, je devenais messager désigné d’office, mais quoi……..
Le lendemain lorsque j’arrivais je le vis avec sa mère, elle ne lui parlait plus depuis longtemps, mais lui caressait les mains, c’était une femme très distinguée, bien habillée, très digne dans la tristesse et très fatiguée aussi.
Je ne savais pas comment l’aborder, mais il fallait toutefois le faire.
Alors je le lançais :
Je lui dis que parfois j’entendais penser les gens, déjà là, je m’attendais à ce qu’elle fronce les sourcils et me fasse un sourire narquois , mais non, au contraire, elle semblait très ouverte, et je lui racontais tout, la façon dont c’était arrivé, le message , tout.
Et alors je sus ce qui était arrivé à son fils, en fait il n’avait pas eu d’accident de la route mais avait eu un infarctus, au volant de son camion , certes, mais aucun dégât à ce niveau là, j’ai su que les urgentistes venus sur place l’avaient fait revenir à la vie trois fois de suite, qu’après trois minutes d’arrêt cardiaque, il était tout de même revenu mais dans quel état.
Elle me raconta que son mari était mort de la même manière alors qu’il avait 38 ans, que tous les mâles de la famille étaient morts avant leur cinquante ans.
Elle m’a expliqué combien elle se battait pour que les médecins arrêtent de lui donner trente cachets par jours, des trucs expérimentaux, me parler lui faisait le plus grand bien, elle me dit aussi que quelque part au fond , elle savait que son fils était encore là mais que l’essentiel de ce qu’il avait été était parti à jamais.
Durant une heure nous avons parlé, pas une seule fois elle ne remis en cause le fait que son fils m’avait dis ce qu’il pensait de tout cela.
Mais " l’attrapeur de mains " devait rester prisonnier non seulement à l’intérieur de lui mais aussi dans le système médicalisé des hommes.
Il y a deux ans mon mari a rencontré un ancien éclopé , et à ce moment là « l’attrapeur de mains » était toujours là, j’en ai pleuré en silence.
Putain de karma.
Quartz

Pffffff....

Où est passé le "Primum, non nocere" ?...
Et je ne suis même pas sûr que les 30 cachets par jour correspondent au "deinde curare".

Quelle pitié ! Et pourtant, il y a tellement de moyens; de possibles...

Je préfère m'arrêter là ! Grosse pensée pour l'attrapeur et sa famille et pour toi...

Quartz, ce n'est pas toi qui avais une personne de ta famille complètement anesthesiée par des medicaments trop puissants?
Parceque ma soeur m'a raconté exactement la même chose concernant une de ses voisines...Qui s'est retrouvée complètement desorientée, et presque grabataire, suite au même problème...Plus de médicaments, tout est redevenu normal...

La question que je le pose moi, c'est comment font ils pour les faire tenir ?
mais çà rapporte tellement d'argent ...............
bon désolée d'avoir plombé l'ambiance hein.
le côté positif de tout cela, c'est que durant toute cette immersion dans ce monde de souffrance, on est bien content lorsqu'on rentre à la maison.
bonne nuit les gens
Quartz

Hélène a écrit:

Quartz, ce n'est pas toi qui avait une personne de ta famille complètement anesthesiée par des medicaments trop puissants?
parceque ma soeur m'a raconté exactement la même chose concernant une de ses voisines...Qui s'est retrouvée complètement desorientée, et presque grabataire, suite au même problème...Plus de médicaments, tout est redevenu normal...

oui c'est ma belle mère qui était traitée pour un alzeimer mais qui ne l'avait pas ce qui fait qu'elle en avait tous les symptômes.

Je l'aime bien ton histoire, Quartz.

T'as bien fait d'en parler. Je sais pas pourquoi je dis ça.
En ce moment, j'ai l'impression de découvrir les effets de nos actions et de nos pensées. J'ai le sentiment très très diffus qu'on laisse une trace bien plus grande et bien plus indélébile qu'on croit et qu'on va commencer à les voir, toutes ces ramifications.

J'envoie une pensée d'amour à ton attrapeur de mains avec la certitude que là-bas, dans son fauteuil, il capte chaque gramme de nos intentions envers lui. Et j'ai une autre certitude : s'il est toujours là, c'est qu'il y a une bonne raison. Ce sont des choses qui deviennent de plus en plus certaines, mais je serais bien embêtée de dire pourquoi ou comment je sais ça.

Un grand sentiment d'unité. Ou d'union.
Chais pas comment dire.
Je suis sûre que c'est pas pour rien non plus que tu nous as raconté ça !

Ouais c'est triste ce que certains endurent à cause du système médicale. Il y a aussi les personnes dans les hôpitaux psychiatriques. Ceux-là aussi ils en endurent. Certains deviennent vraiment des légumes, sans oublier l'ambiance morbide insoutenable qu'il y a des ces endroits (et les hôpitaux, perso je supporte pas). J'imagine même pas vivre enfermé là-dedans...

C'est vrai que ça ouvre le débat sur les limites des réanimations, l'acharnement thérapeutique, l'euthanasie.

Vivre à tout prix et à n'importe quel prix n'est pas l'éthique la meilleure à mon sens.

A mon sens pas du tout non plus. Cà vient de la mauvaise conception de la vie. Perso si je devais avoir un truc, je ne souhaite pas qu'on me réanime... Je n'y vois pas d'intérêt, si je "pars" et que je suis inconscient, ben qu'on me laisse partir tranquille et qu'on fasse pas joujou avec moi quand j'ai le dos tourné

Ayla a écrit:

Je l'aime bien ton histoire, Quartz.

T'as bien fait d'en parler. Je sais pas pourquoi je dis ça.
En ce moment, j'ai l'impression de découvrir les effets de nos actions et de nos pensées. J'ai le sentiment très très diffus qu'on laisse une trace bien plus grande et bien plus indélébile qu'on croit et qu'on va commencer à les voir, toutes ces ramifications.

J'envoie une pensée d'amour à ton attrapeur de mains avec la certitude que là-bas, dans son fauteuil, il capte chaque gramme de nos intentions envers lui. Et j'ai une autre certitude : s'il est toujours là, c'est qu'il y a une bonne raison. Ce sont des choses qui deviennent de plus en plus certaines, mais je serais bien embêtée de dire pourquoi ou comment je sais ça.

Un grand sentiment d'unité. Ou d'union.
Chais pas comment dire.
Je suis sûre que c'est pas pour rien non plus que tu nous as raconté ça !

Bonjour Ayla,
Je commence à faire un petit condensé de mes expériences un peut étranges .
en ce moment je cogite pas mal aussi sur mon parcours dans le domaine de l'énergétique, ce que j'ai fait , ce que j'aurai peut être dû oser faire, ainsi je reste convaincue quelque part que cet homme aurait peut être pu revenir , sortir de sa prison , il aurait fallu pour cela que les conditions soient différentes, qu'il y ai eu un moyen de faire un soin particulier , mais l'accès, ne serais ce que dans une chambre de malade dans un CHU reste un endroit difficile, il n'y a que mon mari à qui je pouvais donner des soins journaliers là bas.
Le plus troublant c'est cette sorte de fatalité morbide , cette malédiction planant au dessus de la tête des hommes de cette lignée, "l'attrapeur" avait un fils, et je me dis que peut être que karmiquement parlant , il protégeait sa progéniture en prenant à son compte l'histoire de la famille.
mais c'était tout de même une belle histoire, une expérience particulière, la fusion des consciences, sorte de médiumnité de vivant à pas tout à fait mort.
je pense souvent à tous ces gens dans les centres , je me souviens de cette sorte de déchirement qu'à éprouvé mon mari lorsqu'il en est sorti, sur ses deux jambes, comme une peur de retrouver ce qu'on appel la vraie vie, alors que là dedans on redevient un enfant dans une sorte de cocon, entre potes esquintés, c'est souvent la rigolade, parfois la souffrance mais on transcende parce qu'on est pas seul.
toutes les histoires sont exposées aux vue de tous, le suicide raté du jeune ado , qui est maintenant légume sur son fauteuil, la femme qui est au chevet de son père ayant fait un AVC , l'homme qui se balade de chambre en chambre montrant des photos prises sur les lieux de l'accident survenu à son épouse, criant au miracle , elle est toujours vivante, bien qu'un tracteur ai totalement écrabouillé sa voiture.....
je me souvient que ces périodes passées dans cet environnement d'émotion extrême, ça m'a à la fois démolie et en partie affiné les sens.
Quartz

Continue, Dame Quartz, j'aime te lire et vraisemblablement d'autres aussi.